Sur le toit = Liberté [Keats]

Encore une personne qui songe que le passé est passé, qu'on ne peut plus rien y changer et qu'il faut aller de l'avant. Oui mais comment faire ? Si quelqu'un a le mode d'emploi, je le veux bien ! Jesse, elle, semble y parvenir... Au fond de moi, j'espère en apprendre beaucoup d'elle.
Je souris à sa dernière remarque.

- Non c'est pas des conneries, c'est même très sensé je trouve.

C'est vrai, elle a un certain recul sur elle-même, je trouve ça admirable. Je ne doute pas qu'avec sa force de caractère, elle retombera toujours sur ses pieds. Mais moi, mes pieds, ça fait longtemps qu'ils ne me portent plus.

- Moi, ce raisonnement, j'arrive pas à l'avoir, dis-je, emportée par une soudaine vague de paroles. J'aimerai pouvoir me dire que le passé est derrière moi, qu'il ne faut rien en regretter, mais c'est faux. Mon passé il est là, tous les jours, toutes les nuits dans mes cauchemars. Comment et quand puis-je commencer à vivre si chaque heure ici est un enfer ?

J'ai resserré mes points sur mes genoux sans m'en rendre compte. J'en ai dit plus que je n'en ai jamais dit à personne... C'est bizarre, parce que ça ne me gêne même pas. Je sais, elle ne pourra pas répondre à ma question... et pourtant, j'aimerai tant qu'elle sache me dire comment faire pour juste survivre ?

Je la vois sourire et elle m'assure que ce que je dis est sensé. Tiens donc, pour une fois! Puis elle répond à son tour et j'ai l'étrange sensation que ce discours là m'est familier. Il n'y a pas beaucoup de nouveau qui semblent capable de parler comme je viens de le faire. Pourquoi? C'est un grand mystère pour moi. Un mystère que Keats m'explique partiellement.

Tu sais, ce n'est pas parce que j'ai dit que je ne voulais pas avoir de regrets, que j'ai oublié mon passé. Le truc, c'est que je suis une éternelle impatiente, je veux avancer, c'est plus fort que moi. Je ne veux pas oublier tout ce que j'ai vécu, parce que c'est ce qui fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Mais j'ai accepté toutes les conneries que j'ai faites, tout ce qui m'est arrivé. J'ai accepté. Et j'avance sans jamais oublier d'où je viens, ou ce par quoi je suis passée. Mais j'avance. C'est ça l'important.

J'ai repris ma respiration. Ce flot de paroles était sorti tout seul, en un bloc, d'un seul coup. Et je dois avouer que livrer mes pensées sur ce genre de sujet n'est pas fréquent chez moi, alors quand je pond une tirade comme ça, je suis fière et soulagée!

- T'es une sacrée force de la nature, toi, dis-je, un sourire en coin.

J'ai toujours du mal à me mettre dans cet état d'esprit, à appliquer ces bonnes paroles à ma petite personne... Je suis sans doute une cause perdue... mais tout de même, j'ai envie d'essayer.

- Je crois que j'ai beaucoup à apprendre de toi, Jesse Lewis !

Soudain je réalise que je n'ai encore rien avalé depuis que Théo m'a forcé a injérer ces trucs hier aprèm... Je commence à avoir un p'tit creux et me retrouve partagée entre l'envie de ne pas bouger de cet endroit merveilleux et l'envie de partir en expédition pour aller piquer à manger quelque part...

- Dis, t'aurais pas envie de grignotter un truc ?

Laissons Jesse trancher !

J'émets un léger rire quand elle me dit que je suis une sacrée force de la nature. C'est un compliment comme un autre, après tout. Elle rajoute qu'elle a encore plein de choses à apprendre sur moi, c'est vrai. Et j'ai aussi des tonnes de choses à apprendre sur elle, mais au Centre, on peut dire qu'on est pas pressé par le temps, vu qu'on ignore quand est-ce qu'on s'en va! Je la vois hésitant et finalement elle me demande si je n'ai pas un peu faim. J'hausse les épaules.

J'ai toujours faim alros si je me fiais à ça, je mangerais toute la journée!

J'ouvre mon sac et sors un bout de brioche de mon petit-déj'. Je l'examine avant de lui tendre avec un sourire radieux. Je garde toujours beaucoup de choses dans mon sac et apparemment, ça sert!

J'éclatte de rire à nouveau. Ca faisait longtemps que je n'avais plus autant ris dans une seule journée.

- Le sac à main des dames est décidément plein de surprise ! dis-je en riant.

Bon, bien sûr, Jesse n'est pas une "dame" comme on pourrait l'entendre et son sac est à mille lieux d'un sac à main conventionnel, mais je trouve la comparaison très drôle.

- Génial, merci ! lui dis-je lorsqu'elle me tend un morceau de brioche. "Jesse Lewis", la jeune fille a avoir avec soi dans les situations difficiles !

A nouveau cet élan d'affection pour elle. Une fois de plus elle a chassé mes troubles au loin en un claquement de doigts...

Elle éclate de rire et je me joins à elle après avoir entendu sa remarque à propos de mon fidèle sac. Elle me remercie et prend la brioche puis me complimente de nouveau. Ca me touche beaucoup, la façon dont elle s'exprime, comment elle se livre un peu à moi, un peu plus à chaque fois. Je lui souris.

Eh oui, tu ne vas plus pouvoir te passer de moi!

- Oui j'en ai peur ! Mais c'est pire pour toi, tu risques de ne plus pouvoir te débarrasser de moi !

J'esquisse un sourire espiègle. J'ignore trop ce qu'elle pense de moi au final, mais elle n'est pas le genre de filles à se laisser marcher sur les pieds, alors si je lui tappais sur les nerfs, je pense qu'elle me le dirait.

J'éclate de rire et lorsque je me calme enfin, tire de nouveau une bouffée de ma cigarette. J'ai gardé ce sourire une bonne partie de la matinée et ça me fait un bien fou.

J'en ai vu d'autres! Je devrais survivre à Keats!

Je lui glisse un petit clin d'oeil et élargis mon sourire.

- Oh ne t'avance pas trop ! dis-je, toujours sans décrocher mon sourire de mes lèvres. Tu ne sais pas encore à quoi tu t'attaques là !

Je dis ça sur le ton de l'humour, mais sur fond de vérité tout de même. De toutes les personnes qui pensaient pouvoir m'aider ou me supporter, je n'ai gardé de contact qu'avec qu'une... et encore, quand je dis contact, j'entends par là un mail tous les 6 mois et une carte d'anniversaire ponctuelle.
Cela dit, aucune de mes précédentes amitiés ne ressemblait de près ou de loin à Jesse, et il me semble qu'aucune n'était plus à même de me comprendre que miss Lewis ne l'est.

Je souris de nouveau à sa remarque, elle se prend pour un véritable fléau, c'est dingue!

Dans ce cas, il me tarde de voir de quoi tu es capable Keats!

Prenons les choses à la légère, parfois ça vaut bien mieux. Et puis, ça a fonctionné jusque ici, ça a l'air de lui plaire. Ne changeons pas les bonnes habitudes!

Le temps défile, Jesse et moi sommes restées toute la matinée sur le toit à discuter de choses et d'autres, de choses sérieuses comme d'autres un peu moins. J'ai la sensation de mieux la connaitre, même si des zones entière de sa personne restent encore floues pour moi. Je crois ne pas me tromper en affirmant que jusqu'ici, je ne me suis jamais sentie aussi en phase avec qui que ce soit.

La cloche sonne les midi, l'heure d'aller au réfectoire pour un repas dégoutant obligatoire...

- Oh non, dis-je d'un air déprimé. Tu n'aurais pas quelques pizza cachées dans ton sac magique ?

Rien que l'idée de la nourriture incipide du réfectoire me répugne.

Le temps est passé incroyablement vite et j'ai l'impression d'avoir vécu des tonnes de choses avec Keats. Pourtant, je sens que je veux en savoir davantage. Me revoilà curieuse, tiens donc! La cloche sonne, elle indique qu'il est l'heure d'aller manger. Je vois Keats désespérée par cette triste nouvelle et je la comprends parfaitement! Je lui adresse un léger sourire désolé.

Je n'ai plus rien dans mon sac, désolé. Mais on n'est pas obligé d'aller au réfectoire. Je peux nous récupérer de la bonne bouffe et on mangerait ici! Qu'est-ce que t'en dis?

Moi je trouvais mon idée brillante! Bah quoi?

- Tu... tu saurais faire ça ? demande-je d'un air mi-amusée, mi-impresionnée.

Pourquoi est-ce que cela me surprend encore ?

- On risque d'avoir de sacrés ennuis si on se fait attraper !

J'ai dis ça comme une simple constatation mais le ton de ma voix n'est pas hésitant, il est résolu, comme si je venais de lui dire "ok !".

Malgré les mots qu'elle a sorti, j'ai senti qu'elle acquiescait à ce plan. J'ai donc souri de toutes mes dents, décidément ça devient une habitude en sa présence, avant de me lever. J'ai arrangé mes vêtements et l'ai regardée.

Bon bah je vais nous chercher ça alors! T'inquiètes, depuis le temps, je suis assez maligne pour ne pas me faire chopper! Je ne devrais pas en avoir pour trop longtemps... tu m'attends ici hein! T'as pas intérêt trop à t'enfuir, ma fille!

Je lui glisse un clin d'oeil avant de m'éloigner. Je devrais en avoir pour un quart d'heure, elle doit pouvoir être capable de rester toute seule ce laps de temps, non?

Jesse se lève pour commencer sa périlleuse mission d'aller chercher à manger. Avant qu'elle ne parte je la regarde dans les yeux et lui dit d'un faux air sérieux :

- Bonne chance agent Lewis !

Elle disparait, aussi légère qu'une plume. En l'attendant, je me perds à nouveau dans mes pensées en regardant cet horizon qui n'en fini pas. Mais ces pensée sont plutôt positives à présent. Après une matinée aussi agréable, je me sens plus détendue que jamais.

Je souris à sa remarque et pars à la recherche de mon contact pour la bouffe. Il ne me faut pas plus de dix minutes pour récupérer quelques provisions. Suffisammetn de vraie bouffe pour tenir quelques bons jours! C'est donc souriante et le sac lourd que je remonte les escaliers pour retourner sur le toit. Je pousse la porte et pousse un soupir de soulagement en me rendant compte Keats n'a pas déserté. Je m'asseois à côté d'elle avec un large sourire.

Et voilà! Dis-moi ce que tu veux, si ça se trouve j'ai vu juste à ton propos!

Je glisse un clin d'oeil à son attention. J'ai du choix, avec un peu de chance, elle va me donner un aliment que j'ai. Ca serait bien ma veine pour une fois!

Après à peine 10 minutes, Jesse revient le sac chargé de provisions.

- Oh génial !! Décidément chère Jesse, vous êtes bien étonnante !

Elle me demande de choisir un aliment au hasard. Cette idée m'amuse. Aurons-nous les mêmes goûts ??

- Mmm... J'avoue que je tuerais pour une pizza, mais on est quand même dans un centre, faudrait pas croire au père noel... alors à défaut je dirais un énorme steck et des frites enrobées de ketchup !!

Je réalise l'improbabilité de cette demande, étant donné qu'elle tient ses aliments dans son sac... Mais rien n'empêche de rêver ! ... Ce doit etre le contre-coup de ces quatre jours que j'ai passé à manger ici une nourriture désespérément fade et saine...

Elle me félicite pour ma rapidité et j'en souris de plus belle. Elle réponds à ma question et me bénis intérieurement, je crois que je suis vraiment trop forte ! Je sors trois parts de pizza entassée les unes sur les autres dans du papier alu. Je lui en tends une avec un grand sourire.

Ta première proposition était la meilleure! Il n'y a rien de mieux qu'une pizza!

Je mords dans ma propre part et sort une bouteille d'eau. Restons légères!

Alors que je n'y croyais pas, Jesse sort de son sac magique trois parts d'une pizza qui a l'air délicieusement fondante. Je ne peux réprimer un cri de joie.

- Jesse, tu es une véritable magicienne !

Nous mordons avec ferveur dans nos parts respectives et exprimons ensemble un "mmmmm" qui vient du coeur !

- Jamais pizza n'aura été aussi délicieuse que celle-ci, dis-je, le regard plein de gratitude. Elle a un merveilleux goût de liberté !

Tout avec Jesse semble meilleur... Vraiment, cette fille a un pouvoir magique !

J'éclate de rire lorsqu'elle me traîte de magicienne. On mord dans notre part de pizza. Arf, ça fait un bien fou! De la vraie bouffe! Keats semble apprécier autant que moi ce délicieux repas et je m'en réjouis. Ca sera une bonne journée, enfin c'est déjà une bonne journée, mais elle est encore meilleure que je ne l'aurais cru! Elle vante alors les mérites de ce bout de pizza et je souris de plus belle. Ca lui fait vraiment plaisir!

Ici, le moindre truc simple est inaccessible alors dès qu'on l'obtient, forcément, ça semble carrément incroyable. D'où ce goût de liberté, je suppose!

Réfléxion philosophique? Arf, je divague moi... Allez Jesse, remord dans ta pizza, ça te remettra les idées en place, vite fait, bien fait. Ca vaut mieux pour toi!

Je ferme les yeux pour mieux apprécier la saveur de ce petit bout de paradis. Jesse me fait part de son point et vue et je vois exactement ce qu'elle veut dire... mais il y a plus encore en ce qui me concerne.

- Ce n'est pas que ça... il n'y a pas que de ce Centre dont je me sente prisonnière. Je me sens prisonnière de tout : de moi-même, de mes pulsions mutilatrices, de mon passé, de ma vie... C'est con, je le sais bien, mais depuis que j'ai fais ta connaissance, c'est comme si je découvrais qu'il existe une fenêtre de sortie dans tout ce désordre.

Je baisse les yeux, consciente que ce que je dis fait très mélodramatique. Je rougis un peu, je me sens con tout d'un coup...
Pourtant c'est ce que je ressens. Je n'avais jamais eu affaire à quelqu'un comme elle avant, jamais je n'avais envisagé les choses et la vie comme elle le fait. Elle m'offre de nouveaux horizons, au delà de ce que je croyais possible, et ça, c'est la liberté.
Pour détendre un peu l'atmosphère qui est devenue bien sérieuse d'un coup, j'ajoute :

- Oui, qui aurait cru qu'un morceau de pizza provoquerait tout ça !

Elle me fait une longue tirade sur son mal-être et une fois de plus, je l'écoute le plus attentivement du monde. Oui, je suis une bonne oreille! Par contre parler, c'est moins mon truc. Heureusement, Keats semble l'avoir compris. Bref, une fois qu'elle eut terminé son grand discours je la fixe un peu. Elle est impressionnante quand elle s'y met! Elle rit un peu en se demandant comment une part de pizza a pu déclencher un tel phénomène! Je ris un peu avec elle avant de me commenter son long discours.

C'est normal que tu te sentes prisonnières de toi-même. Enfin, je veux dire que quand on est dépressif, c'est souvent le cas. Ce n'est pas con, c'est un problème psychologique comme un autre, seulement plus difficile à éradiquer.

Non de Dieu, je suis en train de me lancer dans un discours qui ne me ressemble pas! C'est quoi ce truc philosophique à deux balles, réveille-toi Jess'!

Cela dit... si tu dis que je peux te montrer le chemin vers la sortie, je te crois!

Je souris à sa remarque. Oui, je crois que si un chemin vers la sortie existe, c'est bien elle qui pourra me le montrer.
Je mache à nouveau avec ferveur dans ma pizza, appréciant une fois de plus l'instant présent.

Le temps défile et la journée touche déjà à sa fin. Au loin on commence déjà à voir le ciel se teinter de ses milliers de couleurs annonçant la nuit. Je grimace un peu à l'idée de devoir affronter les réprimandes des profs demain, mais pour rien au monde je n'aurais voulu changer quoi que ce soit à cette journée de liberté.

- Il commence à se faire tard... dis-je d'un air désolé.

Puis j'ajoute en souriant du mieux que je peux :

- Je suis sûre que tes amis ont du se demander où tu étais passée ! Ce n'est pas très sympa de ma part, je t'ai accaparée toute la journée !

Si ça ne tenait qu'à moi je resterai ici toute la nuit encore... Une nuit à la belle étoile sur le toit ! Je ris intérieurement de cette idée, je ne suis pas du genre à faire des trucs dingue d'habitude. Non, aussi séduisante que soit cette idée, ce ne serais pas raisonnable. Et puis il y aura encore d'autres occasions. Cette pensée me réconforte.

C'est vrai, le reste de la journée à défiler comme une flèche. De toute façon, le temps a toujours été contre moi, c'est pas aujourd'hui que ça va changer, hin! Keats se décide à annoncer l'inévitable. Oui il se fait tard et oui, on va devoir se séparer. Mais sur une bonne journée, n'oublions pas! Elle me dit que mes amis ont dû se demander où j'étais passée et je ne peux réprimer un léger rire jaune.

Honnêtement, je n'ai pas une ribambelle d'amis! Alors il y a peu de chance pour qu'ils se soient inquiétés, surtout qu'il est dans mes habitudes de sécher les cours!

Non, ils se comptent sur les doigts de la main. En amis, véritable, je n'ai que Noah. Autour de lui se jonche Julie, Morgane, Nael bien sûr et quelques autres. Mais sincèrement, je crois que Keats commence à en faire partie...

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