Sort du cirage

J'ouvre lentement les yeux et la lumière aveuglante me les fait refermer. Au bout d'un moment je retente l'expérience. Pièce blanche, capitonée... Je soupire. Je suis dans une salle d'isolement comme chaque fois après une crise. Comme d'habitude, je n'ai pas vraiment souvenir de ce qui c'est passé, ayant un solo de timbales qui joue dans mon crâne. Je me redresse dans le lit portant une main à ma tête. Pas de bonnet. Je le vois sur la table juste à côté du lit et je m'en empare pour le remettre sur ma tête...

J'avais harcelé un surveillant il y a quelques heures pour savoir où se trouvait Noah. J'étais passée dans sa chambre et y avais trouver Jin, seul. Mais maintenant je savais où le trouver, en salle d'isolement. Rien qu'à cette idée, je grimaçais d'avance. Je m'y suis rendue, le coeur lourd et ai demandé à le visiter. Au début, ils n'étaient pas trop chauds et finalement, à force de sourires, de mensonges et d'hypocrisie, j'ai réussi mon coup. Ils m'ont ouvert sa cellule et m'ont limite balancée dedans.

Eh! Un peu de délicatesse ne tue personne!

Mais trop tard, ils avaient déjà refermé la porte capitonnée. J'ai relevé les yeux et ai croisé le regard de Noah. Une boule est née dans ma gorge. Je n'avais pas peur de lui, j'avais peur pour lui...

La porte s'ouvre brusquement mais je suis trop shooté aux tranquilisant pour réagir. Je lève lentement les yeux et vois Jesse. Je souris un peu. Il faut toujours qu'elle vienne me voir quand je me retrouve ici. Je suis content, être tout seul ici, c'est pas top!

Salut.

Je ramène mes jambes un peu plus vers moi et lui fait signe de s'asseoir sur le lit.

C'était joli au moins?

Je déteste faire ce genre de crise en public, mais bon, mieux vaut en rire non? Et puis elle sait que j'ai des trous de mémoires avec tous les tranquillisants qu'ils me filent. Vous le croirez pas je sais, mais ils doivent forcés la dose avec moi, sinon ça fait à peine effet quand je crise...

Un léger sourire est né sur ses lèvres. Il était content de me voir. J'étais un peu rassurée, il était dans son état "normal". Il m'a fait signe de venir m'asseoir près de lui et je n'ai pas hésité. J'avais confiance. Il me demande si sa crise était jolie à voir, avec beaucoup d'ironie évidemment...

T'as effrayé quelques nouveaux et alimenter quelques blablatages! Rien de plus.

J'ai baissé la tête.

Y en a qui ont vraiment flippé, pas habitués!

Je l'avais déjà vu comme ça avant, on pouvait dire que j'étais "habituée", mais certains des nouveaux présents ce jour-là ne s'attendaient vraiment pas à ça...

Classique. Si je devais compter tous les nouveaux que j'effrais je serais encore meilleur que je le suis en maths! Et les blablatages, rien de nouveau là-dans non plus. Je suis ici depuis huit mois. Facile donc de se faire coller le titre de mec le plus alliéné de ce centre. Quand c'est rendu que tu connais les types de l'isolement par leurs petits noms... C'est que tu passes beaucoup de temps là!

On change pas les bonnes vieilles habitudes hein!

Je soupire un peu. Même si j'étais claqué ce matin, j'aurais dû prendre mes cachets. Là ça va me retomber sur le dos et bonjour la punition parce qu'ils vont penser à une rébélion...

Foutu médoc... Je les aurais pris s'ils fileraient pas la somnolence...

Nous y voilà. Il n'avait pas pris ces médicaments ce matin-là. Voilà que les choses s'inbriquaient plus clairement dans mon esprit. Je lui ai souri en me balançant de droite à gauche en le bousculant un peu à chaque fois...

Inconscient, va!

J'ai souri et soupiré à la fois.

Je me suis ennuyée moi, sans toi...

Je ris un peu, content qu'elle se donne la peine de le dire que ce soit vrai ou non. Elle est ma seule vraie amie ici. La seule qui malgré toutes mes crises, à raisons toutes aussi stupide les unes que les autres, est restée à mes côtés. Pour cette peine, j'ai un respect infini envers cette fille...

Tout est ennuyeux sans moi.

Je continue de rire alors que la porte de la salle s'ouvre de nouveau. C'est Nathalie, dans la trentaine, 'infirmière chefe du centre. L'une des rares adultes à être vraiment sympa avec nous.

-Bonjour Noah! Jesse.

Elle adresse un signe de tête à Jesse et je sais qu'elle ne lui demandera pas de partir. Pas besoin!

B'jour...

Elle s'asseoit sur le coin du lit et soupire avant de m'arracher mon bonnet. Je ne peux m'empêcher de rire. Elle déteste que je l'ai en permanence sur la tête.

-J'ai su ce qui c'est passé. Tu as pris ta prescription ce matin?

Je baisse la tête comme un gamin qu'on gronde. Elle est la seule personne par qui j'accepte les sermons. Elle est vraiment sympa et compréhensive, du coup, c'est stupide à dire, mais je me sens comme avec une mère avec elle!

J'étais trop fatigué pour, me défendis-je quand même.Ces foutus médoc me donnent envie de domir quand je suis trop fatigué tu le sais!

-Je sais, mais je préfère que tu dormes au lieu de te blesser, ou de blesser quelqu'un, ou encore de finir ici! Et puis tu n'as qu'à venir à l'infirmerie quand ça arrive, tu le sais ça.

Mon tour de soupirer. Pourquoi cette femme à toujours des arguments qui vous casse et qui vous font sentir stupide après? Parce que ouais, je suis crétin, j'aurais dû y aller au lieu de me coltiner un séjour en isolement!

Il a pris ça à la rigolade, pourtant j'étais sérieuse. Peu importe, l'infirmière la plus sympa du centre a débarqué. Probablement la seule qui accepte ma présence lorsqu'il s'agit de s'occuper de Noah. Elle nous a salués et a fait quelques remontrances à No'. Ca m'a fait sourire.

Laisse tomber, No'! Tu sais bien que tu n'as aucune chance contre Nathalie!

Et c'est vrai, elle a toujours les bons arguments, vous savez, ceux qui sont tellement bien que vous ne pouvez même plus dire un mot parce que vous vous sentez plus bas que terre de ne pas y avoir penser! Eh bah, c'est elle la maîtresse incontestée!

Je tire la langue à Jesse avant de me faire osculté par Nath'. Ça prend quelques minutes, puis elle se relève du lit.

-Bon, je vais m'arranger pour que tu puisses sortir d'ici. Mais ne saute plus de matin! Prend toujours tes prescriptions.

Oui maman.

Mon ton est ironique et elle me frotte la tête affectueusement avant de partir de la pièce. Je remet immédiatement mon bonnet sur ma tête et repousse la couverture blanche de sur moi.

Ah vivement que je sorte! J'ai faim.

Et comment, j'ai pas mangé de la journée puisque j'ai dormi!

Nathalie lui a de nouveau remonté les bretelles et a finalement quitté la pièce en promettant d'essayer de faire sortir Noah le plus rapidement d'ici. J'ai souri et me suis tournée vers Noah qui se plaignait d'avoir faim. J'ai ouvert mon sac avec un sourire malicieux.

Qu'est-ce que tu ferais sans moi?

Je lui ai tendu un morceau de pizza que j'avais soigneusement gardé dans du papier aluminium sachant que je viendrais lui rendre visite par tous les moyens et qu'on lui aurait probablement pas donné à manger. Fière de mon don, j'étais soudainement rayonnante. Chose rare, il faut le dire.

Un sourire me fend le visage jusqu'aux oreilles alors qu'elle me tend une pizza. Je la prends et la déballe toujours souriant avant d'en prendre une bonne bouchée. Seulement ensuite, je lui réponds :

Pas grand chose Jessounette!

Je continue de manger, vraiment affamé, et ça m'aide à sortir du cirage ce qui est une très bonne chose selon moi.

Merci.

Je vois sa tranche papaye et le laisse s'emparer de son mini-festin. Ses deux réponses me touchent. À croire que je compte un tantinet soit peu pour quelqu'un. Ca fait chaud au coeur quand ça n'est qu'arrivé qu'un nombre de fois qui tiendrait sur une seule main...

Vivement que tu sortes!

C'était limite une déclaration ça. M'en fous, c'est ce qui m'occupe l'esprit en ce moment.

Je ne dis rien. Continuant de manger. Depuis le temps que nous sommes ici on est devenu très solidaire tous les deux et ça me fait sourire intérieurement qu'elle veuille presque plus que moi que je sorte d'ici.

Ah, je peux attendre encore un peu. J'ai de la bouffe et toi! J'ai tout ce dont j'ai besoin, rigolai-je avec un petit sourire.

J'ai souri. Je me suis sentie importante. Ca ne m'arrivait pas souvent. Ca m'arrivait à l'époque où je dealais, à l'époque où je volais tout ce qu'il me passait sous la main en expliquant aux jeunes comment faire. Et là, je n'étais pas importante pour mon savoir faire. J'étais importante pour ce que j'étais, pour l'amie que je pouvais être. Et franchement, ça me faisait chaud au coeur. Alors, une fois de plus, j'ai laissé ma tête tomber sur son épaule.

Je vais partir dans le mélodrame mais... Merci d'être là.

Je termine ma pizza et elle s'appuie la tête sur mon épaule. Ça arrive souvent, je ne m'en formalise même plus. On se trouve allongé sur le lit, regardant le plafond, ne sachant pas trop quoi faire. Bon... Qu'est-ce qui pourrait bien passer le temps pendant que Nath' rempli les papiers qui me feront sortir de ce caisson capitonné?

On pourrait faire quoi à ton avis?

J'étais claquée, fallait l'avouer. Alors j'aurais dormi bien volontiers, mais comme activité à deux... on fait mieux! Alors je me suis mise à réfléchir silencieusement à la question tout en mourant d'envie de sortir une clope et l'allumer. Mais en salle d'isolement, c'est déconseillé... Bah ouais, ils aèrent jamais ici! J'ai secoué la tête pour me remettre les idées en place mais n'ai toujours rien trouvé à faire.

Moi je dis, rien faire... c'est bien aussi...

J'avais dit ça en soupirant, sans trop être motivée par une quelconque activité...

Je ris un peu en ramenant mes bras sous ma tête. Ouais rien faire c'est bien, je l'admet.

Proposition adoptée!

Et je continue de fixer le plafond sans réel intérêt pour lui. C'est relaxant rien faire, mais en même temps, c'est vite emmerdant.

Il s'est mis à son aise et j'ai fait de même. Ma proposition était cool mais bon... ça allait bien deux minutes. Heureusement pour nous, Nathalie est revenue dans la pièce. Instinctivement je me suis redressée pour finalement me remettre sur mes deux pieds. J'ai arrangé mes vêtements et elle s'est mise à parler.

-Allez oust! Et la prochaine fois, c'est à l'infirmerie que je veux te voir Noah!

Je lui ai souri, un sourire de gratitude, et me suis tournée vers Noah

Allez, fainéant, debout! On s'en va!

Je me redresse un peu plus lentement, toujours à cause de ces tranquillisants.

Promi Nath'.

Je reste assis sur le lit pour enfiler mes chaussures, puis je me lève enfin et m'avance vers la sortie en compagnie de Jesse qui ouvre la marche d'un pas pressé.

Hey oh! Tu pourrais m'attendre hein, je te rappelle que t'es ici pour moi!

J'entends Nathalie rire dans mon dos. Ouais, je dois admettre qu'on donne souvent des scènes très rigolottes Jessounette et moi.

Nono a repris ses affaires et on a enfin pu sortir de cette pièce écrasante. J'étais pressée de sortir fumer une cigarette lorsque Noah m'a fait une remarque qui a fait rire Nath.

J'ai envie de fumer! Et comme je suis ici pour toi autant que l'inverse,
si tu es sage, je veux bien te faire don d'une cigarette!

J'ai refait le plein ça va.

Je tente un accélérement pour la rattraper, mais décidément ces tranquillisant ralentissent vraiment le mouvement! 'Fin bref, faudra bien qu'elle patiente l'autre parce que je peux pas faire plus vite!

J'ai haussé les épaules. Et moi qui voulait être gentille. J'ai ralenti un peu la cadence, pour ne pas le larguer en cours de route. Il est mou aujourd'hui, les calmants probablement. On arrive enfin dans le Hall. Je soupire en regardant la grande porte. Qu'est-ce que j'aimerai la traverser sans avoir à me soucier de ce que l'on va dire. J'ai poussé à nouveau un long soupir et je me suis laissée tomber sur un fauteuil. Je ne comprenais pas pourquoi je voulais sortir. Je n'avais rien dehors. Ici j'avais un toit, de la bouffe, Noah. Que demander de plus? Oulah, je me perd là. Je sors une clope de mon sac et ne tarde pas à l'allumer...

Je me prend la tête pour rien...

J'avais pensé à haute voix sans m'en rendre compte. Avec un peu de chance, Noah ne réagirait pas. De toute façon, qu'est-ce qu'il pourrait dire?

Je ris un peu et me laisse tomber à côté d'elle. Je sors mon paquet de clope et m'en allume une.

C'est un autre truc qui est mère de tous les emmerdements, fis-je d'une voix savante. Qu'est-ce qui se passe encore dans ta petite tête?

J'ai soupiré de nouveau et ai tiré une nouvelle bouffée de ma cigarette.

Pourquoi on propose toujours aux autes une date de sortie, aussi improbable soit-elle, et pas à nous?

J'ai baissé la tête, je n'aurais peut-être pas dû lui dire ça à lui...

Je change ma clope de main et passe un bras autour de ses épaules. Jess en mode dépressif c'est pas bon et je déteste alors vite trouvons un moyen de lui remonter le moral!

Parce qu'on est trop attanchant cocotte. Ils veulent plus nous laisser partir! Ils nous adorent, faut pas se leurer!